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N° 60 - Agriculteurs à l'ombre des forêts du monde

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L’intitulé de l’ouvrage de Geneviève Michon nous avait interpellé : « Agriculteurs à l’ombre des forêts de monde », mais plus encore le sous-titre « agroforesteries vernaculaires ». Et à sa lecture, nous n’avons pas été déçus !!! Cet ouvrage analyse en effet avec beaucoup de pédagogie le rapport que nous avons à la forêt – rapport humain s’entend – avec toutes les pratiques qui résultent de notre perception de la forêt, complexe s’il en est. Nos paysages actuels en sont en grande partie le fruit.

 

Dans le chapitre introductif, la citation suivante (P.17) plante bien le propos de cet ouvrage de référence : « la nature menacée et la forêt en danger, qui font les gros titres de nos magazines accultent donc la réalité de cette « forêt des hommes », en particulier des agriculteurs au sens large et diu traitement qu’on lui inflige depuis maintenant trop longtemps. C’est de cette forêt là que je veux vous parler. ».

 

Sous le titre de l’un des chapitres « Arbres, forêts et agriculteurs, le divorce est-il définitif », Geneviève Michon réoriente parfaitement la réflexion sur une vision paysagère beaucoup plus complexe de la forêt, en écartant  l’opposition trop facile et dichotomique entre « espace ouvert/champs et espace fermé/forêt. Le rappel historique est ici le bienvenu. « Dans la trilogie ager – saltus – silva, les relations entre paysans et ressources forestières se jouaient dans la silva et le saltus, domaines du ligneux, mais elles intégraient aussi les éléments arborés de l’ager : arbres isolés dans les champs et forêts linéaires cultivées pour la production de matériaux divers. Tous ces éléments boisés du paysage rural constituaient ce que l’on appelait la « forêt paysanne ». Ils structuraient le paysage et l’économie domestique à côté de la culture des céréales. Entre espaces boisés et espaces cultivés, il ne s’agissait pas que de complémentarité fonctionnelle et économique ; Bois, champs et enclos villageois constituaient le cadre et le support d’un système complexe de circulations et d’échanges, créant entre ces espaces de véritables interdépendances ».

 

Les citations proposées au niveau du « bocage », c’est-à-dire ces forêts linéaires, sont aussi excellentes :

« Tout ce feuillage – buissons, arbres aussi qui ne manquent point dans les haies – fait qu’encore aujourd’hui ces espaces cultivés, vus d’un peu loin, présentent, pour parler comme un mémoire du XVIIIè siècle, le « coup d’œil d’une mouvante forêt », à peine un peu plus clairsemée. D’où le vieux nom de bocage que le langage populaire, l’opposant à ceux de « champagnes » ou de « plaines », évocateurs des terroirs sans obstacles, appliquent volontiers aux régions encloses ». Marc Bloch

« Le bocage était cette structure mise en place depuis plusieurs siècles, qui conciliait la chèvre et le chou, la forêt et l’agriculture. Totalement artificiel, le bocage était une belle réussite de l’homme, de son génie écologique, de l’agroforesterie avant la lettre, ou tout simplement du bon sens et du savoir-faire ».

 

La dimension spirituelle est loin d’être absente de l’analyse très fouillée de cet ouvrage ; bien au contraire ! Nous en retenons cette citation :

« Sous nos latitudes, nous avons depuis longtemps perdu cette composante sacrée qui jouxtait nos forêts quotidiennes : déjà Ronsard déplorait le « désenchantement des forêts », comme le rapportent Raphaël Larrère et Olivier Nougarède, auteurs de cet irremplaçable petit livre sur les relations des hommes aux forêts… C’est peut-être pourquoi nous essayons de sacraliser les forêts les plus majestueuses…et souvent les plus lointaines. Cette multiplicité – aussi matérielle qu’idéelle – des formes de la forêt dans les paysages domestiqués, devrait être pour nous un véritable exemple à suivre. A l’heure où les forêts du monde ne deviennent plus que le support d’énormes flux financiers, où même la biodiversité et le piégeage du carbone peuvent faire l’objet de tractations monétaires internationales, il nous faudrait – comme le dit si justement Philippe Roch – « rétablir une continuité entre les diverses activités concernant la forêt, notamment entre son exploitation économique et la relation spirituelle que nous entretenons avec elle » ;

 

L’ouvrage est non seulement fascinant d’érudition et de références, mais il réoriente à la fois avec passion et intelligence toute la perception que nous devrions avoir au quotidien avec la forêt… sous toutes ses formes !

 

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